La vie après la rébellion
L’actualité africaine de la semaine écoulée a été indubitablement marquée par la dernière «bataille de Kinshasa» entre l’armée nationale de la République démocratique du Congo (RDC) et la milice privée de Jean-Pierre Bemba, dont les «soldats» dépenaillés ont fait le tour du monde des télévisions et des magazines. Faisant, une fois de plus, une contre-publicité terrible au pays de Patrice Lumumba et à tout le continent africain.
Le «cas Bemba» nous interpelle tous. Il nous ramène à une question fondamentale : quelle vie après la rébellion ? Quand on a pris les armes contre les autorités établies de son pays, quand on a dirigé des milliers de «chiens de guerre» dressés contre le pouvoir en place, quand on a exploité sauvagement le sol et le sous-sol d’une partie du territoire national au nom de «l’effort de guerre», comment peut-on se recycler ?
Tout dépend de l’issue de la belligérance. On peut gagner la bataille, et prendre le pouvoir. Dans ce cas, on devient un chef d’Etat comme les autres, et on appose sa signature au bas des déclarations scandalisées de l’Union africaine désapprouvant toute prise de pouvoir par des moyens anticonstitutionnels. Cela a été le cas pour Yoweri Museveni (Ouganda), Paul Kagame (Rwanda), Meles Zenawi (Ethiopie), Issayas Afeworki (Erythrée), Idriss Déby (Tchad), François Bozizé (République centrafricaine), etc… Il est aussi possible d’avoir un destin radicalement différent et de perdre la guerre engagée. Soit l’on est tué, soit l’on tente de se recycler dans un pays voisin en espérant que la bonne fortune se souviendra de nous, comme cela a été le cas pour le «guerillero historique», Laurent-Désiré Kabila. Troisième possibilité : on est inséré dans une processus de sortie de crise sous la houlette de la communauté internationale, et on choisit d’accepter la place que nous réservent à la fois les nécessaires compromis et le suffrage universel. C’est dans cette configuration que se trouve Jean-Pierre Bemba.
Agé de 45 ans, produit de l’aristocratie mobutiste, fils d’un milliardaire enrichi par le système, Bemba est entré en rébellion en 1998 contre Joseph-Désiré Kabila, en arrachant l’Equateur, sa région d’origine et fief des partisans de l’ancien régime, au nouveau pouvoir central. Son mouvement, qui s’est caractérisé par de nombreux crimes économiques et des violations des droits de l’homme assez spectaculaires, a réussi à obtenir, pour lui, un poste de vice-président au moment des accords de paix. Puis les élections sont arrivées : Jean-Pierre Bemba a perdu l’élection présidentielle, et reste persuadé qu’il est victime d’une conspiration internationale ayant conduit à lui voler sa victoire.
Comment, alors qu’on a contrôlé un territoire plus vaste que plusieurs petits pays, qu’on a été vice-président, devenir «seulement» un opposant ? La culture politique, c’est comme la culture tout court : c’est ce qui reste quand on a tout perdu. Bemba, flambeur devant l’Eternel, enfant terrible du mobutisme et du post-mobutisme, n’est pas habitué à l’impuissance, au lent travail de persuasion de masses souvent revêches, dépolitisées ou découragées. Il n’est pas Etienne Tshisekedi, il n’est pas John Fru Ndi. Il veut tout, tout de suite. L’âge de Joseph Kabila (36 ans en juin prochain) le traumatise. Il ne peut pas compter, comme les opposants guinéens, gabonais ou zimbabwéens, sur le temps qui viendra à bout d’un régime honni et permettra une redistribution des cartes. Alors, il joue son va-tout, au cœur de la capitale…
Avant lui, un autre chef rebelle «largué» par l’Histoire a tenté de prendre sa destinée à rebrousse-poil. Alors que la communauté internationale, complice de la guerre, avait décidé que son intérêt la poussait à la paix en Angola, Jonas Savimbi a choisi de se révolter contre le nouvel ordre post-conflit, qui consacrait la victoire d’Eduardo Dos Santos et du MPLA. Il est retourné dans le maquis. Avec la complicité de ses tuteurs américains, il a été immolé sur l’autel de la stabilité du nouvel eldorado pétrolier. La photo de son cadavre a fait le tour du monde. Le Sierra Léonais Foday Sankoh a cru pouvoir résister face à la «pax britannica» : il a été écrasé et est mort en prison, complètement fou. Le Soudanais John Garang, qui s’était pourtant moulé dans les accords de paix avec le pouvoir représenté par Omar El Béchir, est lui aussi passé de vie à trépas. Un accident d’avion a eu raison de lui, alors qu’il rejoignait Khartoum et son poste de vice-président.
Y a-t-il une vie après la rébellion ? En Côte d’Ivoire, Guillaume Soro, jusqu’ici docile marionnette des vieux crocodiles de l’opposition ivoirienne, a décidé d’aller seul à la paix des braves avec le président Laurent Gbagbo. Il sera incessamment nommé Premier ministre. Consécration ou début de la fin ? Cela dépendra sans doute de la volonté de Dieu, ainsi que de l’aptitude de l’ancien secrétaire général du principal syndicat estudiantin de Côte d’Ivoire à retourner avec modestie, dès à présent mais surtout après la présidentielle qui aura lieu dans les prochains mois, sur le terrain de l’engagement politique civil, où il a, on ne peut pas l’oublier, brillamment commencé. Il doit refuser «la tentation Bemba». Y arrivera-t-il ?