29 mars 2007
Y a-t-il un «vote noir» en France ?
L’hebdomadaire «afro-parigot» Jeune Afrique a eu un bon réflexe en commandant un sondage à l’Institut Ifop destiné à répondre à la question : «Pour qui votent les Français d’origine africaine ?». Les résultats de l’enquête sont sans appel. Les citoyens français originaires du continent sont très majoritairement sympathisants socialistes. 57% d’entre eux comptent élire Ségolène Royal, tandis que 19% choisissent François Bayrou et que seulement 11% vote pour Nicolas Sarkozy, pourtant en tête de tous les sondages quand il s’agit de l’ensemble de la population française. Suivent les nombreux candidats de l’extrême gauche et du mouvement altermondialiste, qui se partagent près de 12% du vote des Français d’origine africaine. Bon à savoir, les Français d’origine subsaharienne sont plus nombreux à choisir Royal (70% contre 54% des originaires d’Afrique du Nord). Bon à savoir aussi, toute cette population électorale représente environ 2 millions de bulletins de vote, ce qui n’est pas négligeable sans pour autant être d’une importance centrale. Mais quand on sait que la présidentielle se jouera serré, il est évident que les candidats ne peuvent se désintéresser de cet électorat communautaire appelé de toute façon à «gonfler»…
Les Français de naissance ou par acquisition ayant au moins un parent originaire d’un pays d’Afrique ont des intentions de vote bien particulières qui les distingue de l’électorat global en France. Cela signifie-t-il qu’il y a un «vote noir», et qu’il pourrait y avoir par voie de conséquence un «lobby noir» faisant pression sur les partis politiques en France ?
Déjà, il ne faut pas oublier que les Antillais, qui font partie de l’aventure française depuis plusieurs siècles et sont à ce titre des Français de souche, sont eux aussi Noirs. Ils peuvent avoir des intérêts opposés à ceux de leurs «frères» venus de la terre de leurs ancêtres. Ils ne sont pas, loin de là, systématiquement hostiles aux thèses anti-immigrés de la droite dure et de l’extrême droite, même si les discriminations raciales les touchent quasiment autant que leurs voisins s’appelant Diop, Konaté, Kouadio ou Olomidé…
Les Français d’origine africaine votent plus à gauche que la population globale. Dans une société qui se «droitise» toujours un peu plus, sont-ils en train de devenir une ressource politique relevant de la rente pour les socialistes, comme les Africains-Américains sont une clientèle électorale assez fidèle pour les démocrates aux Etats-Unis ? Peut-être. Souvent issus des classes défavorisées, se sentant stigmatisés par la droite, les Français d’origine africaine votent majoritairement à gauche.
Ce qui ne signifie pas qu’il y a un «vote noir» dans l’Hexagone, comme il y a un «vote juif» influençant le positionnement des partis sur la question israélienne ou un «God factor» pointilleux sur les questions de moralité aux Etats-Unis. En France, les Noirs venus d’Afrique votent à gauche pour des raisons purement individuelles. Ils sont si peu organisés que la mise en commun de leur vote pour faire pression autour de tel ou tel sujet est quasiment nulle. Ils n’ont pas de médias de grande diffusion, pas de leaders charismatiques dont la voix fait vraiment mouche, pas d’associations fortes – le Conseil Représentatif des Associations Noires (CRAN) est à peine sorti des limbes qu’il est contesté.
De plus, quand bien même les Noirs de France originaires d’Afrique auraient des instruments sérieux d’influence, ils ne pourraient pas vraiment faire avancer des causes africaines. Dans un conflit comme le conflit ivoirien, les voix Burkinabé et Ivoiriennes (par exemple) se neutraliseraient. Les Rwandais et les Congolais s’invectiveraient «devant les Blancs» autour de la crise dans les Grands Lacs. Pro-Kabila contre pro-Bemba, pro-Gbagbo contre pro-Ouattara, pro-Sassou contre pro-Lissouba… la communauté originaire d’Afrique en France est traversée par les mêmes scissiparités que l’Afrique elle-même.
Il n’y a pas, en outre, de «cause africaine» sur laquelle l’unanimité est faite. Même des questions comme le départ des troupes françaises du continent et le soutien de Paris aux dictateurs – chacun ayant sa liste singulière de dictateurs à dézinguer – ne rallient pas une masse critique capable de peser. L’impasse du discours panafricain est à l’origine de bien des déconvenues du continent.
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