«Péril» jeune sur l’Afrique !
La vaste transition (politique, économique et culturelle) dans laquelle la fin de la guerre froide et l'accélération de la mondialisation ont engagé le continent africain n'en finit pas d'accoucher de mutations tout aussi inattendues les unes que les autres. La démocratisation à marche forcée en fait partie. Elle traumatise les possédants, elle exaspère, surtout dans les territoires historiques de la Françafrique, une élite dirigeante nostalgique des trente années de "tranquillité" offertes par la période de glaciation où le pouvoir et les révolutions de palais venaient de Foccart, rien que de Foccart...
Cette satanée ère nouvelle énerve parce qu'elle met en lumière des catégories sociales jusque là paralysées ou instrumentalisées de manière monolithique : la plèbe et la jeunesse. Ce sont des "sans-culottes" imberbes ayant le ventre vide et l'injure facile qui ont fait chuter Moussa Traoré au Mali, Robert Guéi en Côte d'Ivoire. Sans eux, la "marche bleue" n'aurait jamais conduit Abdoulaye Wade au Palais de l'Avenue de Roume. En Côte d'Ivoire, c'est une partie d'entre eux qui constitue la piétaille de la rébellion. Ce sont eux les fameux patriotes insultant "le père et la mère de la France".
Guillaume Soro, secrétaire général de la FESCI de 1994 à 1998, a été élu "homme de l'année" en 1997. Dix ans plus tard, après avoir "dribblé" les "meilleurs vieux" de l'houphouétisme qui l'avaient recruté comme "chien méchant anti-Gbagbo", il vient de devenir Premier ministre. Il va décider qui, au sein du parti de Bédié - qui l'avait persécuté jadis - et de Ouattara - "pitbull" anti-FESCI quand il était Premier ministre -, sera membre du gouvernement...
Il célèbre dans la foulée ses "retrouvailles" avec Charles Blé Goudé, son successeur à la tête de la FESCI qui a été, jusqu'ici, le leader des centaines de milliers de jeunes qui s'étaient érigés en "bouclier de Gbagbo" et en "bataillon de la rue". Un Blé Goudé qui encourage les jeunes à cesser de servir de faire-valoir pour les autres et à "taper le tam-tam" pour eux-mêmes. Au PDCI, Jean-Claude Atsé demande à Bédié de faire la promotion de la nouvelle génération, avec une tonalité où l'on sent poindre un brin de chantage...
En Côte d'Ivoire, les jeunes veulent-ils profiter de la guerre pour prendre le pouvoir et "tuer" la "gérontocratie" qui avait cours jusque-là ? Démocratie et démographie se conjuguent en réalité pour donner aux Africains nés dans les années 1970 et 1980 plus d'importance dans le jeu politique. Ils représentent près de 70% de l'électorat. Dans les urnes, dans la rue, sur les théâtres de guerre éventuellement, ils sont majoritaires. "Youth power", peuvent-ils légitimement crier.
Leur émergence est à la fois porteuse de dangers et d'espoirs. Pauvres, mal structurés, souvent ambitieux et trop pressés, sans conscience de classe (d'âge), ils peuvent se déchirer pour des intérêts qui ne sont pas les leurs. Guillaume Soro, au départ pur produit de la colère d'une "génération sacrifiée" à la fois par le parti unique et le système françafricain, s'est vite transformé en bras armé des démembrements de l'ancien parti unique et d'une ancienne puissance coloniale refusant le changement dans son pré carré. Jouera-t-il désormais sa propre partition et celle de sa génération ?
Cela ne saurait suffire de toute façon. Guillaume Soro, qui n'a pas fini ses études et n'a pas d'expérience professionnelle, est à l'image de ses promotionnaires et de ses petits frères. Nombreuse et grouillante, la jeunesse africaine est sans qualifications ni repères. Elle a besoin d'être prise par la main par des "vieux pères" sages, ouverts et progressistes, qui canaliseraient son dynamisme, lui donneraient les armes nécessaires pour le combat de la vie, avant de lui transmettre le relais. Si elle ne le trouve pas, elle s'autodétruira quelque peu sur les chemins escarpés de sa destinée, mais finira bien par trouver sa voie toute seule. Ce n'est toutefois pas l'idéal.