La fuite des cerveaux est-elle un faux problème ?
L'ex-Malien de la NASA, actuel président de Microsoft-Afrique, Cheick Modibo Diarra, a toujours eu des idées iconoclastes. Il s'insurge, dans une interview publiée par le magazine du bureau régional de la Banque mondiale à Dakar, contre tous ceux qui s'inquiètent et élaborent des théories autour du thème de la "fuite des cerveaux" du continent noir. Au moment où une bonne partie de l'Afrique accuse Nicolas Sarkozy, le "père" de "l'immigration choisie", de vouloir piller la matière grise africaine, Modibo prend tout le monde à rebrousse-poil.
"Pour ma part, je récuse le terme de "fuite" des cerveaux. Un cerveau fuit pour aller où ? C'est une notion issue des salons ou des grandes institutions onusiennes. La réalité est que personne ne peut que personne ne désire quitter son chez soi car rien ne peut remplacer l'odeur du quartier dans lequel on est né ! Il faut créer en Afrique les conditions permettant aux gens - une fois de retour, après avoir investi les ressources de leur famille pour aller acquérir des connaissances -, de mettre ce savoir acquis au service de l'amélioration de leurs conditions de vie et de celles de leurs concitoyens. Qui est fou au point de rester dans un endroit où l'odeur de la terre mouillée par la pluie ne lui inspire rien ? Pour rien au monde je ne serais parti ailleurs si j'avais trouvé dans ma ville de Ségou les moyens de travailler !Aujourd'hui, nous vivons dans un monde où l'accumulation du savoir est extraordinaire et progresse très vite. Si vous êtes débranché de ce circuit de la connaissance pendant un laps de temps, tout l'investissement placé sur vous devient obsolète. C'est pourquoi il est primordial de se tenir informé et de sauvegarder le savoir acquis en restant connecté à d'autres collègues et d'autres laboratoires grâce aux TIC, dans l'attente que nos décideurs créent cette banque de données dont je parlais ainsi que les projets concrets valorisant le savoir et le savoir-faire acquis par ces ressortissants. Il faut comprendre que les gens doivent gagner leur vie, cela n'a rien de sentimental (...) Certains cherchent simplement à laisser croire que l'intellectuel africain ne veut pas rester chez lui. C'est faux ! Aller ailleurs n'est pas nécessairement la préférence de l'intellectuel africain. En fait, il y a eu faillite sur toute la ligne, tant au sein des institutions de développement, que des pays qui prennent les décisions. Ils ne créent aucune condition pour que les gens restent chez eux. Regardez les institutions internationales : combien de cerveaux africains sont volés par la Banque mondiale ou par l'Unesco dont je suis l'Ambassadeur ? Regardez ce qui passe dans toutes les institutions de l'ONU. Il faut cesser de prôner une chose et son contraire."
Individualiste forcené ou pragmatique décomplexé ? Que penser des mots de Modibo ? A vos claviers !