Bataille de chiffonniers autour de l’ordinateur à 100 dollars
Au début de toute cette histoire, il y a Nicholas Negroponte, un informaticien américain d’origine grecque, diplômé du Massachusetts Institute of Technology où il a par la suite travaillé comme chercheur, créateur du magazine Wired - et accessoirement frère de John Negroponte, adjoint de Condoleeza Rice au Département d’Etat américain. Nicholas Negroponte lance, en 2005, l’association One Laptop per Child (Un ordinateur portable par enfant) qui planche sur une « bécane » à 100 dollars US, fonctionnant sur la base de logiciels libres, accessible à un grand nombre d’enfants des pays pauvres qui pourront, à travers leur « ordi », accéder à la connaissance et à l’éducation à distance. L’idée est que les gouvernements du Sud intéressés fassent des commandes à travers leurs ministères de l’Education. Très vite, des pays comme le Nigeria, la Libye, la Chine, le Brésil et le Venezuela manifestent leur intérêt après avoir vu les prototypes fabriqués à un millier d’exemplaires. La production à grande échelle est prévue pour commencer en juillet prochain. Tout ceci ne serait qu’une « belle histoire d’humanitaire » si Intel n’avait pas fabriqué à la hâte un produit quasiment identique à celui proposé par Negroponte et n’avait pas commencé à « draguer » les gouvernements intéressés par le projet concurrent. Bien évidemment, l’ONG avant-gardiste a protesté. Negroponte a résumé ainsi la situation : « Ce concept a été farouchement critiqué par des gens qui désormais le copient ou font des choses allant dans son sens. Les gens nous ont raillé, nous ont critiqué, puis nous ont copié. » Les communicants d’Intel protestent de leur bonne foi, arguant apporter des solutions à la jeunesse, et minimisant le caractère belliqueux des documents qu’ils distribuent dans les pays en développement pour dénigrer l’offre de Negroponte. « C’est comme ça que notre business fonctionne », a expliqué à CBS Craig Barrett, patron de Intel. Le fond de l’affaire ? Le portable de l’ONG de Negroponte utilise un microprocesseur fabriqué par le principal concurrent d’Intel. Cette histoire nous aide à établir quelques vérités. Premièrement, les citoyens des pays en développement (y compris les pays aujourd’hui très pauvres) constituent un vrai marché, et l’avenir appartient à ceux qui feront le pari de les prendre au sérieux et de les intégrer à un marché mondial dont ils sont exclus artificiellement. La nouvelle force de la Chine et de l’Inde et le boom des télécommunications en Afrique le prouvent. Intel le comprend avec du retard : les petits Africains marchant nus pieds dans des rues mal goudronnées aujourd’hui seront, demain, des consommateurs de technologies. Il faut désormais s’installer dans leur esprit pour mériter demain leur reconnaissance. Deuxièmement, la « connexion » des citoyens des pays pauvres, aujourd’hui producteurs sans influence ou consommateurs passifs, à une communauté virtuelle mondiale où ils pourront apprendre, acheter, vendre et s’exprimer, fera trembler la terre. Beaucoup d’intermédiaires véreux, de gouvernements liberticides (ou sans vision) et de profiteurs occidentaux redoutent cette évolution et conspireront pour qu’elle n’advienne pas. PS : Au fait, que pense le gouvernement ivoirien du portable à 100 dollars, lui qui s’investit dans la zone franche des technologies de l’information et rêve de faire de l’informatique le « nouveau cacao » du pays ?Qui a dit que les enfants du Tiers-Monde ne constituaient pas un marché méritant qu’on se batte pour lui ? En tout cas, Intel ne croit pas celui là. La grosse firme informatique n’a pas hésité à risquer sa respectabilité en copiant une invention que ses « thinkers » avaient raillé dans un premier temps : l’ordinateur à 100 dollars.