Leadership et «followership»
Un illustre aîné qui nous fait l’amitié de partager ses réflexions sur la marche de l’Afrique nous revient de la lointaine Asie avec un anglicisme curieux aux lèvres : «followership». Le mot qualifie la capacité d’un groupe à suivre efficacement ceux qui sont reconnus comme leaders, dès lors qu’ils indiquent une voie collective.
Le «followership» apparaît donc comme l’indispensable complément du «leadership». Que vaut un leader aux capacités éprouvées si sa base ne le comprend pas, le rejette, le conteste à tout propos et hors de propos ?
Les Chinois, nous explique l’illustre aîné, attribuent leur réussite de ces dernières années à la force de l’Etat (un bon leadership) mais surtout à ce qu’ils appellent un bon «followership». En Chine, dès qu’une grande orientation stratégique est prise par les décideurs, toutes les énergies nationales convergent et rendent le challenge plus facile à réaliser, expliquent les citoyens de l’Empire du Milieu, fiers de leur «success story». Bien entendu, les mauvaises langues ont bien le droit d’attribuer le bon «followership» chinois à la rude férule d’un Parti communiste qui se situe aux antipodes de la démocratie.
Ceci dit, un constat demeure : du parti unique et des régime des «sauveurs de la Nation» à l’ère du pluralisme politique, la question du mauvais «followership» est une constante têtue. Sous la contrainte, nous faisons semblant de suivre, usant de maints subterfuges pour subvertir les décisions des «en haut de en haut». Sous le régime libéral, nous faisons ce que nous voulons, et au sein de l’élite, ceux qui veulent être califes à la place du calife pullulent, souvent en dépit de leurs potentialités et du bon sens.
Pourquoi ? Nous devons nous interroger de toute urgence. Je suis persuadé que notre libération collective viendra, entre autres, de notre capacité à mener chacun notre psychanalyse personnelle et de notre aptitude à poser les diagnostics nous permettant de dépasser nos névroses collectives.
Notre piètre «followership» réside peut-être tout simplement dans le faible «leadership» de nos… leaders. Mais peut-on dire avec certitude que nous avons suivi nos dirigeants les plus éclairés ? Ruben Um Nyobé, Patrice Lumumba, Thomas Sankara et les autres icônes de notre Panthéon n’ont-ils été réhabilités aux yeux de tous après leur trépas ? Ont-ils été mieux traités par leurs contemporains que les vulgaires sergents de la Coloniale qui ont souvent dirigé nos pays par le glaive et la terreur ? Le charisme de nos grands hommes du passé a-t-il fait disparaître les tendances scissipares de nos sociétés ? On peut bien entendu arguer du fort soutien dont a bénéficié l’ANC de Nelson Mandela - malgré les salves tribales de l’Inkhata. On peut se souvenir que des milliers d’Ivoiriens ont risqué leur vie parce qu’ils refusaient que l’ancien colonisateur renverse le président qu’ils s’étaient librement donnés. Mais les contre-exemples sont là, et nous interpellent.
Peut-être que nos foules savent pas faire foule précisément parce qu’elles ne sont pas «en réseau», parce qu’elles sont incapables de se concevoir autrement que comme une poussière de petits groupes antagonistes, parce qu’on leur a savamment inculqué le virus de la division. «Les pouvoirs franco-africains organisent (…) le vide, le silence morose, le côtoiement des individus, des groupes, des catégories, des ethnies, jamais leur dialogue et leur interpénétration, en un mot l’obscurantisme...», dénonçait Mongo Beti dans sa revue Peuples noirs, peuples africains.
Peut-être que nous nous refusons à adhérer au discours public et au projet collectif parce que nous sommes taraudés par un afropessimisme têtu, encore plus féroce que celui des Occidentaux. Si tel est le cas, qu’est-ce qui nous rend si incrédules face à l’éventualité de meilleurs lendemains pour nous en tant que groupe ? Interrogeons-nous pour nous libérer.