Rhétorique du flou
«Rupture», disait Nicolas Sarkozy quand il voulait récupérer le fauteuil de Jacques Chirac sans s’embarrasser d’un bilan fort peu valorisant. Sur ce thème de la rupture, le nouveau président français promettait une politique africaine différente, loin des intrigues et des «réseaux».
Alors qu’il commence à déployer sa politique étrangère, l’on se rend de plus en plus compte qu’en Afrique, la France ne changera ni ses alliés ni sa stratégie. La méthode toute chiraquienne selon laquelle il est de bon ton de parler de Côte d’Ivoire partout et avec n’importe qui, mais pas à Abidjan et surtout pas avec Gbagbo, a été visiblement reprise par Sarkozy et son gouvernement. Le numéro un français annonce ainsi que lorsqu’il reçoit le président sénégalais Abdoulaye Wade - qui n’est ni président en exercice de l’UA, ni président en exercice de la CEDEAO -, les deux parlent de… la Côte d’Ivoire !Bernard Kouchner, chef de la diplomatie d’un pays qui a rédigé plusieurs résolutions onusiennes sur la Côte d’Ivoire et qui a stationné plusieurs milliers d’hommes au pays des Eléphants, est dans la même logique que son président. Nouvellement nommé, il n’a pas choisi de venir à Abidjan durant sa première tournée africaine, mais ne s’empêche pas de discourir sur la Côte d’Ivoire… depuis Bamako ! Que dit-il ? Il explique notamment pourquoi il n’a pas foulé le tarmac de Port-Bouët.
Première raison : des contraintes de calendrier. «Ce n'est pas la seule [visite, ndlr] qui a été annulée. C'est aussi l'étape de Ouagadougou. C'est parce que je suis pressé d'aller au Tchad et ensuite au Soudan. J'ai donc appelé les deux présidents. Je les ai priés de me pardonner. Il y avait une urgence, le G8 se tenait. Nous avons une attention particulière pour ce qui se passe au Soudan, au Darfour, et nous souhaitons que la communauté internationale fasse pression le plus possible pour que la phase un, la phase deux, la phase trois des Nations unies soient mises en application et, d'ailleurs, le président Nicolas Sarkozy l'a lui-même annoncé au G8 : le 25 juin, se tiendra à Paris un rendez-vous important du Groupe de contact élargi», a expliqué Kouchner lors d’une conférence de presse dans la capitale malienne.
Deuxième raison : des considérations politiques. «J'irai sans doute en Côte d'Ivoire un jour, mais le gouvernement français, en raison des circonstances qui, depuis quatre ou cinq ans, ont égrené leurs conséquences néfastes, souhaite que des signes soient donnés en direction du problème le plus important : la réalisation d'élections contrôlées, libres, selon les critères internationaux», a affirmé Kouchner, répondant à une question sur la promesse faite à Soro de venir à Abidjan.
De deux choses l’une. On ne peut pas à la fois ne pas venir parce qu’on est «bousculé» et ne pas venir parce qu’on ne trouve pas, en l’état actuel des choses, une visite opportune. La France est-elle condamnée à une rhétorique du flou en Côte d’Ivoire ?
Par ailleurs, rendre visite à un pays signifie-t-il approuver ses gouvernants ? Bernard Kouchner, avant d’être chef de la diplomatie, dénonçait le «génocide» au Darfour, ce qu’il s’abstient de faire aujourd’hui. Il est allé au Soudan et a rencontré Béchir. Cela signifie-t-il que le président soudanais est «fréquentable», lui a donné des «signes» ? Evidemment, non. On ne peut pas être impliqué diplomatiquement dans une région au monde tout en snobant ses dirigeants - à moins d’y être un belligérant. Venir à Abidjan, pour Kouchner, n’aurait pas signifié faire allégeance à Gbagbo, mais poursuivre une activité diplomatie conséquente.
Cela dit, le fait que de tels raisonnements puissent exister en France montre bien qu’autour de la question ivoirienne, aucun renouvellement de la pensée ne s’est fait depuis l’arrivée d’un nouveau président. Il s’agit toujours de contourner Abidjan, d’ignorer Gbagbo - comme si le simple fait de le reconnaître comme président était insupportable. Il s’agit toujours de ruser avec Ouaga, de soutenir le processus de paix du bout des lèvres, tout en se disant qu’un faisceau d’opportunités peut toujours donner à Paris l’occasion d’en finir avec «l’adversaire». Ce qui était l’objectif de départ de ce qu’il n’aurait jamais fallu appeler la France chiraquienne, mais tout simplement la France officielle.