
Il s'appelle Ramoji Rao, et c'est un sacré numéro. Cet Indien d'un certain âge s'est mis en tête de reconstituer, à une trentaine de kilomètres d'Hyderabad, la capitale de l'Andhra Pradesh, Etat agricole du Sud de son pays, la fameuse colline d'Hollywood et les fameuses neuf lettres blanches qui la surplombent. Ainsi, à partir de son pays des merveilles à lui, Ramoji Film City, vous pouvez prendre une image aérienne du royaume de l'entertainment américain... sans y être jamais allé !
En réalité, la réplique asiatique de la plus célèbre colline américaine n'est qu'un des visages de Ramoji Film City, le plus grand complexe de studios de cinéma au monde – selon le Guinness Book des Records, s'enorgueillit le site Internet de la firme. Sur cette « terre d'un million de rêves », vous allez d'un décor d'une rue royale anglaise à la devanture d'un saloon de film western en passant par une réplique du Taj Mahal – nous en reparlerons – et des quartiers populaires des grandes villes indiennes.
Mais le décor hollywoodien est frappant en ce qu'il n'est qu'une démonstration de plus d'une tendance observée chez tous les dragons asiatiques : l'imitation. Les Japonais imitent les prouesses architecturales françaises, les Chinois imitent absolument tout ce que font les Occidentaux, et les Indiens, désormais, reproduisent le symbole achevé du rêve américain.
Pourquoi se posent-ils en dupliquant, alors qu'a priori on se pose en s'opposant ? Qu'en pensent les culturalistes, d'Afrique comme d'Europe, qui revendiquent ce qu'on pourrait appeler, si on est méchant, une authenticité régressive ? On peut postuler que, paradoxalement, imiter est le premier acte de défi de l'ancien dominé. En imitant ce qu'il y a de mieux chez le plus fort du moment et en s'offrant le luxe de l'améliorer, il attaque les fondements idéologiques de la supériorité « naturelle et féconde » d'un vainqueur provisoire juché sur son arrogance. En art, l'imitation est le premier pas de la création, de toute façon. L'imitation rigoureuse est une arme de la guérison psychologique des peuples.
Non seulement l'Inde reproduit Hollywood, mais elle va plus loin en ajoutant, logiquement et sans complexe, les éléments de son propre Panthéon. Se borner à imiter les grandes réalisations de l'humanité – la basilique de Yamoussoukro, par exemple – peut être considéré comme le signe d'une aliénation, même si cette aliénation est plus inquiète et désireuse de progrès que le délire infécond d'un Mobutu à Gbadolite.
Face à la discrimination, nous pouvons choisir le différentialisme et l'essentialisme (comme les fondamentalistes musulmans des pays arabes). Nous pouvons céder à la tentation du « repêchage », en nous distinguant par tous les moyens des nôtres et en affirmant une singularité souvent opportuniste. Nous pouvons aussi nous assumer, en tant qu'êtres issus d'une Histoire et d'un peuple, vivant au coeur d'un environnement global et mondialisé, et ayant le regard fixé sur un avenir plein de promesses. Nous pouvons choisir d'être des passeurs de modernité décomplexés et d'aider nos peuples à se surpasser, leur prouver qu'ils n'ont aucune raison d'avoir honte d'eux-mêmes car ils ont en eux la graine de tous les possibles.
Pour en savoir plus :
http://www.ramojifilmcity.com