20 juin 2007
Quand Gbagbo parle, Kouamouo écrit (1)
Dernier édito de David N'Goran dans Le Courrier d'Abidjan. Il fait aimablement la promo de mon dernier livre. Lisons-le.
En dépit de son allure provocatrice, le titre que je propose pour le décryptage du dernier livre de Théophile Kouamouo ne signifie absolument pas que ce jeune et brillant journaliste, militant et écrivain, écrirait « sous la dictée de quelqu’un ». Il s ‘agit pour moi de contextualiser le livre et son idéologie. Celle-ci se profile sous la forme d’un militantisme et d’un engagement de grande ampleur. La correspondance du « parler » et de « l’écrit » en tant que totalité de l’action est peu près celle que décrit Suzanne-Brichaux Houyoux dans son Quand Césaire écrit, Lumumba parle (L'Harmattan, 2000).
Ainsi donc, après La France que je combats (les éditions du Courrier d’Abidjan, 2005) Théophile Kouamouo, que les patriotes Ivoiriens auraient eu raison d’appeler « le beau cadeau offert », en référence à ce que Patrick Chamoiseau disait de Frantz Fanon, vient de récidiver avec une deuxième publication, chez le même éditeur, sous le titre : La Recolonisation de l’Afrique, le cas de la Côte d’Ivoire. Au-delà de l’histoire de vie du sujet-écrivain, il suffit de voir la configuration de la première page du livre pour comprendre le décor idéologique, voir "le champ de bataille" sur lequel l’auteur nous entraîne. Parce que cette histoire n’est pas un conte de fée, la couleur choisie pour la page de couverture est le rouge vif. Mes références culturelles et socio-anthropologiques, me fondent à dire que cette symbolique est martiale, un peu comme « quelque chose qui commence dans le sang et va finir dans le sang ». Sinon, pour quoi donc croyez-vous que Stephen Smith ait choisi, à une petite variante près, la même couleur pour son Négrologie, pourquoi l’Afrique meurt (Calmann-Lévy, 2003) ? Ainsi, autant le célèbre idéologue de la domination blanche postule la damnation, puis la condamnation à mort de l’Afrique et des africains par les Africains eux-mêmes, à travers un titre et un sous-titre tout en noir gras, autant Théophile Kouamouo entend faire l’analyse d’une « Recolonisation » de l’Afrique par « l’oiseau blanc » qui, pour faire mentir René Dumont revient occuper « le nid qu’il feignait [nda] avoir abandonné à l’oiseau noir » : d’où la réplique de Théo par un titre en blanc gras. Quant au sous-titre en jaune, il me semble qu’il engage « une Côte d’Ivoire dans le viseur » (p. 43), soit pour dire que l’espace ivoirien n’est encore que sous l’effet d’une menace programmée qu’il est possible de conjurer, soit pour donner espoir de ce que l’avènement du sang ivoirien n’est que transitoire, suivant l’hypothèse d’un nouvel ordre du monde dans lequel l’Afrique et les Africains joueraient un nouveau rôle et occuperaient une position nouvelle. Dans tous les cas, la matière du livre est construite autour de l’image de l’arène, dans laquelle sont aux prises un « quotient trans-individuel » (Lucien Goldmann) et « la bête coloniale» (Achille Mbembe). Elle s’appuie sur la thématique de la domination ou de « reprise en main », paradigmes du concept de « Recolonisation ». Celui-ci a ses classiques : de Césaire et son Discours sur le colonialisme (1953), Mongo Beti et Main basse sur le Cameroun (1972) censuré par le gouvernement français d’alors, à Jean Ziegler, avec Main basse sur l’Afrique, la recolonisation (1985), Les nouveaux maitres du monde et ceux qui leur resistent ( Fayard, 2003) auxquels on pourrait ajouter les livres-événements de feu François-Xavier Verchave, La françafrique, le plus long scandale de la République (Stock, 2003), et Noir silence (2000).
Le camp opposé semble être essentiellement français et est constitué, en grande partie, des partisans de la fameuse loi du 23 février 2005, portant sur le « rôle positif de la colonisation » équivalant, sans doute à « un projet de recolonisation » : « s’il arrive à être démontré que le projet de recolonisation de la Côte d’Ivoire est une réalité, ne pourrait-on pas en déduire qu’un des enjeux de toute l’entreprise de la réhabilitation morale de la colonisation en France ne vise qu’à préparer l’opinion à cautionner l’aventure expansionniste ? » (Théo, p. 28-29). À leur côté, résident des idéologues comme Hubert Védrine, ancien ministre socialiste des Affaires étrangères, ayant théorisé « les fondements intellectuels de la reprise en main » (Théo, p. 33), puis, Stephen Smith, dont les théories subtilement raciales, racistes et essentialistes sont sans cesse au service de la Françafrique (p. 38), le tout sous le regard, viscéralement haineux du philosophe franco-juif, d’origine polonaise Alain Finkielkraut, (p. 20-21) dont l’école de pensée a choisi à la faveur des émeutes des banlieues parisiennes, de revenir à l’évolutionnisme que Lévy Brulh lui-même avait abandonné en cours de route.
La structure du livre obéit à un sommaire de cinq chapitres, mais est subdivisée en réalité en deux grandes parties : un premier, ayant trait au caractère international de la crise que nous avons vécue et un second, relatif à sa dimension interne.
Dans le premier temps, Théo se propose de déconstruire les grandes idéologies qui structurent nos modes de pensée, les stratégies géo-expansionnistes bouleversant nos vécues en décidant, à notre insu, de nos avenirs. Il s’attaque, pour ce faire, à deux appareils idéologiques décisifs et nocifs : la presse (l’information) et l’armée. La presse, en confirmant l’analyse althussérienne de l’institution, contrôle et oriente notre consommation de l’information : Théo parle d’une « surinformation dont le rôle est d’entraîner de nombreux bruits indistincts (…) une sorte de machine à clichés répétés et intériorisés, formant un tout absurde » ( p. 30).
Quant à l’armée, parce qu’elle fonctionne à une violence légalisée, c’est elle qui soutient et accomplit l’action de « recolonisation » dont le programme, élaboré depuis longtemps, dans l’antichambre des stratèges, engendre un vocabulaire de bonne conscience comme « maintien de la paix, devoir ou droit d’ingérence, protectorat », cher aussi bien à Hubert Védrine qu’à Michèle Aliot Marie. Théo parle d’un « argumentaire militaro-enthnographique » (p. 42).
En définitive, en comparaison au précédent, je pense que ce livre est un lieu de maturité intellectuelle, de rigueur méthodologique, d’argumentaires précis, d’engagement profond et total. Mardi prochain, nous franchirons ensemble le seuil du livre.

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