Affaire Kieffer : ce qui discrédite les «révélations» de France 3
L'article de Sylvie Kouamé dans Le Courrier d'Abidjan sur le dernier rebondissement de l'affaire Kieffer, dans laquelle Nicolas Sarkozy s'engage désormais.
L’affaire Kieffer rebondit, après une longue «pause». Elle rebondit avec le «témoignage» d’un jeune homme, qui se nommerait Berté Seydou, et qui aurait été le chauffeur de Jean-Tony Oulaï, présumé chef du présumé commando qui aurait assassiné l’ancien journaliste de La Tribune. Une équipe de la chaîne de télévision française France 3 est venue recueillir les propos du jeune Berté Seydou, qui a parlé à visage découvert et les a conduits sans difficulté aucune à plusieurs endroits d’Abidjan, qui seraient les lieux où Guy-André Kieffer, puis sa dépouille, auraient été traînés par un mystérieux commando meurtrier. Ce «nouvel élément» (en réalité déjà à la disposition de la justice française depuis de longs mois) serait «accablant» pour le régime ivoirien, selon la présentatrice de France 3. En réalité, le visionnage du reportage de la chaîne de télévision publique hexagonale, s’il peut créer un choc évident chez le téléspectateur lambda, suscitera mille questions chez les observateurs qui ont suivi le dossier Kieffer de près depuis plus de trois ans. Premièrement, l’on s’interroge sur la crédibilité du «témoin» qui s’affiche devant les caméras de France 3 dans les rues d’Abidjan. De deux choses l’une : soit Seydou dit la vérité, et a des raisons de craindre pour sa sécurité, soit Seydou ment, et il risque d’être emprisonné pour faux témoignage. Dans un cas comme dans un autre, il a reçu des garanties françaises pour une éventuelle «exfiltration» (qui pourrait même déjà avoir eu lieu). Dès lors se pose la question de la corruption : combien de jeunes Ivoiriens à peine alphabétisés refuseraient de dire tout et n’importe quoi pour plaire à quiconque leur proposait un asile doré en France ? Deuxièmement, la version des faits que déroule Berté n’est pas nouvelle. Il y a exactement un an (le 23 août 2006… apprécions le timing !), un article du Patriote – quotidien proche, s’il en est, de l’opposant Alassane Ouattara – racontait la même histoire, reprise par les médias et agences de presse hexagonaux. La seule nouveauté, c’est qu’un jeune Ivoirien, dont l’identité et la fonction réelle auprès d’Oulaï n’est pas confirmée, parle à visage découvert. Troisièmement, le reportage de France 3 arrive comme un élément d’un «plan média» destiné à coïncider avec l’audience accordée à la famille de Guy-André Kieffer par Nicolas Sarkozy. Quatrièmement, le témoignage de Berté, comme de nombreux autres révélations «fracassantes» sur des affaires sordides en Côte d’Ivoire (depuis le charnier de Yopougon), a une particularité : l’on est obligé de croire en la bonne foi de ceux qui parlent, puisqu’aucun élément matériel indiscutable ne vient appuyer leurs propos. Ainsi, le témoignage de Berté Seydou offre «l’avantage» de pouvoir attester de la mort de Kieffer (il l’a vu tuer par les éléments de Jean-Tony Oulaï) et de ne pas être obligé de localiser le corps (exhumé quelques jours plus tard pour être amené dans une destination inconnue). Alors que les premiers «témoignages» recueillis par le juge Ramaël à Abidjan ne réussissaient à établir aucun lien clair avec des autorités politiques, Berté donne une «preuve» pour accabler directement la Présidence ivoirienne – Kieffer y aurait séjourné deux jours et deux nuits. Cinquièmement, on s’interroge sur le sort réservé en France à Jean-Tony Oulaï, présumé assassin de citoyen français venu mystérieusement se réfugier… dans la gueule du loup, c’est-à-dire en France ! Alors qu’un témoignage aussi «solide» et jugés «crédible» par la justice française existe depuis visiblement plus d’un an, Jean-Tony Oulaï n’est pas en prison, mais en liberté, bien que sous contrôle judiciaire. Il n’a pas été mis en examen par la même justice française. Vous avez dit bizarre ? Comme c’est bizarre ! Nous y reviendrons.
Pour regarder le reportage de France 3 : http://jt.france3.fr/1920/