Et pourtant… l’Afrique a une histoire, par Véronique Michèle Metangmo
Jeunes d’Afrique, jeunes de ce continent noir, je ne suis pas le chef d’État d’une de ces grandes puissances du monde, mais moi aussi je suis venue vous parler en vérité. Je voudrais vous parler « avec la franchise et la sincérité » que je vous dois, car même en n’étant pas un grand président de ce monde « je vous aime », et je suis semblable à chacun de vous. Vos problèmes sont les miens, vos peurs les miennes, vos frustrations je les connais, elles sont les miennes, je les partage, je vis votre douleur et votre peine. Je suis de votre génération, cette même terre qui vous a portés m’a aussi bercée. Et je fais partie comme vous de cette génération qui cherche ses voies…dans ce monde globalisé. Et je voudrais en tant que membre et au nom de cette génération qui est la mienne, ne pas trahir ce que je pense être ma mission.
Et ceci en toute fidélité avec cette pensée de Frantz Fanon que je partage totalement : « chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir ».
Aujourd’hui, jeunes d’Afrique, beaucoup de personnes veulent nous parler en vérité, nous amener à nous approprier le présent pour mieux entrer dans le futur : noble et louable entreprise. Belle générosité vis-à-vis de la jeunesse de ce peuple toujours en attente.
OUI jeunes d’Afrique, jeunes Noirs, nous devons véritablement entrer dans ce présent pour mieux préparer notre futur. Mais comment entrer dans ce présent si notre histoire est chaque jour falsifiée par les mêmes qui veulent nous aider à bien entrer dans le présent ? Comment négocier cette entrée quand chaque jour nous est rappelé à force de mots bien répétés et assenés notre condition de « sous-homme », de « bêtes brutes », de « mendiants dans le désert de l’histoire », de « portefaix », de « mercenaire-esclave immuable et éternel », etc. ?
Pourquoi, ce besoin de nous rappeler toujours que « l'homme africain est aussi logique et raisonnable que l'homme européen » ? Cette affirmation toujours assenée aurait-elle pour but de nous convaincre vraiment que nous sommes des êtres rationnels (à ce moment, cela voudrait-il dire que nous en doutions ? Et si tel est le cas, ce serait terrible et voudrait dire que les siècles d’aliénation que nous avons connus, sont encore aujourd’hui de façon indélébile marqués dans notre chair et notre pensée, et que le passage de différentes générations n’y a rien changé). Ou alors cela voudrait il dire que les hommes européens essaient aujourd’hui encore de se convaincre que nous sommes vraiment des êtres rationnels « comme eux » (ce qui signifierait alors que, bien des années après la domination des peuples dits non civilisés, l’homme occidental a encore un doute sur la capacité d’un homme d’Afrique à être un homme rationnel, après s’être longtemps demandé si celui-ci était détenteur d’une âme !).
C’est dire que dans cette affirmation chaque fois rappelée, il y a un malaise et une incertitude qui se créent ou se font présents. J’ai peur que ce qui est ou parait évident n’ait pas autant besoin d’être aussi constamment rappelé. Alors comment comprendre cette affirmation ? Parlons seulement en vérité « mais quelle vérité ? ».
Tenez ! Parlons en vérité de l’histoire ! De cette histoire où, pour certains, nous y sommes très mal logés : « Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles… Jamais l'homme ne s'élance vers l'avenir. Jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin. ». Parlons en vérité de cette histoire où nous sommes davantage des figurants que des acteurs.
Ou bien même quand nous en sommes les acteurs, c’est toujours pour jouer les rôles les plus ignobles, qui choquent les consciences les plus rationnelles.
OUI parlons en vérité de cette histoire qui nous doit si peu, voire presque rien. Cette histoire qui est le fruit de l’intelligence, du travail, du labeur, du mobilisme, du modernisme et du désir d’avenir des autres et à laquelle nous avons si peu voire rien du tout apporté. Est-ce vrai ? Est-ce là la vérité ?
Ici encore j’ai envie de rappeler avec Ivan Van Sertima qu’ « Il est troublant de constater que l’on s’efforce (peut-être inconsciemment, tant le réflexe raciste est devenu involontaire) de créer un surhomme blanc à qui l’on devrait tout de la civilisation et des grandes réalisations des peuples non caucasoïdes ».
OUI, jeunes d’Afrique, ne vous laissez jamais voler votre histoire ou laisser les autres l’écrire ou la raconter à votre place, car c’est avec cette histoire vraie que vous affronterez mieux votre présent et bâtirez mieux votre futur. C’est sur cette histoire, la vraie et dans cette histoire que vous trouverez mieux les armes et les moyens pour affronter ceux qui voudront vous dominer et vous rappeler constamment votre rationalité pour mieux vous en faire douter.
OUI, jeunes d’Afrique, méfiez-vous des gens qui exaltent ou louent les talents de Senghor pour mieux vous éloigner de l’histoire, seul socle sur lequel vous trouverez de la grandeur, le courage, la noblesse, la fierté, la royauté et autre matériau pour mieux construire ce présent et entrer comme des « guerriers » dans le futur. Car ne vous y trompez pas, les luttes et guerres de conquête, de pouvoirs et de domination ne sont jamais terminées. Elles changent juste de forme et d’apparence pour mieux revenir.
OUI au métissage, mais même dans le métissage méfiez-vous car il y a toujours des caractères dominants. Soyez aux aguets et méfiez-vous d’être les seuls à penser que le métissage est sain et vertueux. Senghor lui même au soir de sa vie a dû l’apprendre à ses dépens ou s’il pouvait revenir, je ne suis pas certaine que son message ou cette grande voix de Senghor que certains nous exhortent aujourd’hui à écouter eut été livrée aujourd’hui encore telle quelle. Ne soyez pas les dindons de la farce d’une réconciliation d’héritage et de culture. Ne soyez pas les seuls à y perdre de votre fierté pour la seule et unique grandeur des autres. Grandeur au nom de laquelle, ils ne manqueront pas demain d’essayer de vouloir vous parler au nom d’une «certaine vérité».
OUI, j’ai envie de dire avec Ngugi Wa Thiong’O que « La voix se borne à rationaliser les besoins, les fantaisies, les caprices de celui à qui elle appartient et qui est son maître. Il vaut donc mieux connaître le maître au service de qui est l’intellect ; alors vous serez capable de juger comme il faut la portée et la rhétorique de ces déclarations.»
OUI jeunes Africains, ne doutez jamais un seul instant de ce que vous, votre peuple a jusque là apporté à ce «métissage» dont parlent certains. Même le comte de Volnez comme d’autres a dû à un moment l’admettre non sans difficulté « Quel étonnement n’éprouvons-nous pas, écrit-il, quand nous réfléchissons qu’aux Nègres, aujourd’hui nos esclaves et l’objet de notre mépris, nous devons nos arts, nos sciences… »
OUI, jeunes d’Afrique, « il ne peut y avoir de conception neutre de l’histoire et de la politique. Si vous voulez apprendre, regardez autour de vous. Choisissez votre camp. »
Que l’on ne s’appuie pas sur notre jeunesse et ce semblant d’insouciance qui caractérise les jeunes pour nous égarer de ce qui doit être notre destin et notre chemin et une fois encore permettez-moi de vous parler par la voix de ce sage d’Afrique qui nous rappelle que : « Notre libération : aucun enfant n’est jamais trop jeune pour y penser. Pour lui, il n’est d’autre moyen de parvenir à la connaissance de soi ; il lui faut rassembler des faits et en rassembler d’autres encore, les passer au crible, les rejeter ou les assimiler, découvrir douloureusement sa propre vérité. Nous devons enseigner à nos enfants à haïr tout ce qui les empêche d’aimer et à aimer tout ce qui leur permet d’aimer librement. ».
OUI parlons en vérité, jeunes d’Afrique et jeunes du monde. Méfions nous des voix qui crient trop fort dans la plaine.
« Le passé d’une civilisation brisée, d’une croissance entravée, d’un peuple noir dispersé à travers le globe et donné en pâture » aux autres civilisations, ce passé là, cette partie de notre histoire semblent très facilement connus, dits et admis de tous, cela me semble normal. Mais nous, n’oublions pas une autre partie de notre histoire dont nous semblons être les seuls à vouloir nous en souvenir.
Alors aurions-nous vraiment besoin de proclamer « que l'homme africain n'est pas voué à un destin qui serait fatalement tragique » ?
NON car nous ne le croyons pas et n’y avons jamais cru. Seuls certains y gagnent depuis la nuit des temps à nous faire croire que nous y pensions, ils sont même allés jusqu’à créer des mythes comme celui de « Cham » ou «Canaan» pour mieux consacrer cette pensée.
NON, nous ne sommes pas les descendants maudits de Cham ou de Canaan. Nous ne l’avons jamais pensé, d’ailleurs nous ne sommes pas les descendants de Cham et de Canaan tout court. Aujourd’hui, on veut nous faire croire que nous sommes devenus « un mythe ».
NON l’Afrique n’est pas un mythe, qu’il en déplaise à certains.
NON, nous jeunes Africains sommes une réalité vraie, authentique, véritable avec laquelle il faudra bien compter.
OUI parlons en vérité et en sincérité entre nous et avec les autres, de notre histoire et ayons le courage de dire et de rappeler à ceux qui sont venus nous parler que hélas notre longue et grande marche au contact des autres civilisations nous incite à garder à l’esprit cette intelligente phrase : « La nécessité politique, hier comme aujourd’hui, est mère de l’invention historique. »
OUI les jeunes d’Afrique ont « le sentiment que le monde [leur] appartient comme à toutes les jeunesses de la terre », cependant les jeunes d’Afrique n’accepteront cette coopération et cette association que si elle se fait en toute vérité et sans aucune volonté de biaiser leur histoire et de leur faire entrer une fois de plus dans le présent et dans le futur de ce monde comme des « mendiants » qui à l’instar de leurs paysans seront toujours caricaturés comme étant figés dans un éternel recommencement au gré du temps et des saisons.
OUI, jeunes d’Afrique, vous êtes certainement les vrais et premiers acteurs du développement de vos pays.
OUI, jeunes d’Afrique, j’ai essayé de vous parler en vérité de votre continent, émasculé d’historicité. Et pourtant…l’Afrique a une histoire !
michelemetangmo@hotmail.com