A propos de cartes de séjour, par David N'Goran
Le dernier édito de David N'goran porte sur la suppression de la carte de séjour donc la question migratoire en Côte d'Ivoire. Le papier est polémique, le sujet aussi. Débattons !
Le Président Laurent Gbagbo a rencontré la communauté burkinabé vivant en Côte d’Ivoire, c’était le dimanche dernier au complexe sportif de Yopougon. Au terme de cet échange entre les frères-ennemis d’hier, on retiendra essentiellement l’annonce portant sur l’éventualité d’une suppression de la carte de séjour pour les non nationaux vivant dans notre pays. Mais parce que ce qui est dit à l’occasion d’une rencontre de cette nature se distingue par ses relents inévitablement politiques et politiciens, il ne faut pas prendre ce type de propos pour argent comptant. Attendons que le chef de l’Etat, s’il veut bien prendre l’avis des Ivoiriens, leur donne davantage d’explications sur son projet, parce qu’il y va de leur pays, de leur avenir et de celui de leurs enfants. Pour autant, soumettons l’hypothèse au décryptage du jour, en espérant que surgiront ses sens cachés.
Deux traditions intellectuelles ont cours autour de la question des cartes de séjour des non nationaux. La première est celle de la gauche traditionnelle. Sous le sceau d’un certain universalisme, elle investit la gestion des affaires publiques suivant le mode des bons sentiments, un peu comme s’il s’agissait effectivement pour elle d’avoir « le monopole du cœur ». Ainsi dira-t-elle par exemple que « la carte de séjour gâte le nom de la Côte d’Ivoire », une façon de dire que notre pays devait montrer au monde un visage plus humain, voire humaniste, en traitant ses voisins en « frères ». La seconde relève de la droite et ses démembrements idéologiques. Dans l’entendement général, les partis de droite sont d’un cynisme froid qui, faisant l’apologie du Léviathan entretient sa vie et sa survie. Ils diront par exemple, sous un air néo malthusien qu’un Etat ne saurait indéfiniment actualiser la métaphore de la mère et ses enfants. Comme dans l’apologie du banquet, chacun ne vient à la table que s’il apporte sa part. Ici, deux logiques s’affrontent sous le manichéisme doctrinal du « bien » et du « mal », de « l’utopie » dans son premier sens d’intelligence puérile et de « réalisme », avec sa prétention à l’efficacité empiriste. Telle me semble être la première pomme idéologique qui opposa le FPI de Laurent Gbagbo au PDCI du temps d’Alassane Dramane Ouattara, à propos de la question des cartes de séjour des non nationaux, vivant chez nous ou avec nous. La gauche ivoirienne des premiers instants, vivant encore dans les nuages a postulé, sans le savoir, que la gestion d’un Etat pouvait s’accommoder de valeurs abstraites comme « partage des biens, liberté, égalité, justice, libre circulation des biens et des personnes » et autres blablablas, débités à la catéchèse. Et puis, comme tout parti de gauche qui se respecte, l’accès à la gestion de la chose publique transforma le parti au pouvoir en parti presque réaliste, c’est-à-dire, dorénavant soucieux de la problématique d’un Etat fort. Pourquoi ?
Parce que l’avènement de l’assurance maladie universelle (AMU), de l’école gratuite, de la décentralisation et de la réforme de la filière café-cacao devaient supposer une Côte d’Ivoire moderne maîtrisant ses populations, notamment, celle issue de l’immigration. Feu Boga Doudou l’avais si bien compris qu’il a bien voulu apporter une petite touche au problème de la carte de séjour. En réduisant considérablement son coût, il proclamait, au-delà de la fausse considération économique, la nécessité de ce document pour un Etat soucieux de modernité.
Or voilà qu’au plus fort de ma casquette de militant de gauche, je dois reconnaître que le chef de l’Etat n’est pas sincère dans son discours et ses arguments.
Il n’est pas sincère parce qu’il sait que 15000 Fcfa/an pour un travailleur qui gagne 50.000/mois, revient à une obligation de 15000/600.000fcfa/an dans un pays qui n’exige aucun permis de travail, encourageant ce type de travailleur à occuper plusieurs emplois à la fois, sans imposition sur le revenu.
Il n’est pas sincère parce qu’il sait qu’il ne peut pas réduire, aussi trivialement, tous les détenteurs de cartes de séjour aux Burkinabés, et qu’il n’est pas recevable, non plus, que tous les Burkinabés soient assimilés à des « dockers au port ».
Il n’est pas sincère parce qu’il n’ignore pas que plusieurs voyageurs traversent nos frontières sans aucun document de leurs pays d’origine, non pas par manque de moyens, mais par méconnaissance de l’importance d’un document administratif de cette nature.
Le chef de l’Etat est informé de ce qu’on ne peut confondre libre circulation et document d’identification…il ne croit quand même pas que sur la base de promesses de bonne foi, tous les voyageurs à destination d’Abidjan viendront avec des éléments administratifs d’identification, dont l’exactitude et l’authenticité ne souffriront d’aucun doute !
En réalité, le président Gbagbo verse abondamment, et exagérément dans la politique. Voulant casser du Ouattara à tout prix, il perd de vue ce qui est fondamental pour nous.
Un Etat moderne ne vit pas de déclarations d’amour et de déclamations évangéliques, il vit de projets à longs termes, cohérents et constants.
On dirait que nous vivons une véritable phobie du papier : Ivoiriens sans papiers, étrangers sans papiers, ça s’appelle une pétaudière ! Sauf si le Burkina Faso a su se faire respecter en nous faisant la guerre.
Ah si seulement notre Assemblée nationale était encore fonctionnelle, elle remettrait les choses à l’endroit, car visiblement, nous voulons la paix, mais nous la confondons à l’absence de guerre.