Quand le sang innocent coule dans la rue !
Dans cet article qui témoigne de sa douleur et de son indignation, Véronique Michèle Metangmo dénonce une réalité camerounaise scandaleuse mais méconnue de l'opinion internationale au nom d'une conspiration du silence. Les assassinats réguliers par les forces gouvernementales de lycéens ou d'étudiants manifestant pacifiquement. En dessous de son papier, vous pourrez cliquer sur un lien vers des articles du quotidien Mutations qui reviennent sur ces crimes d'Etat. Quel prix a la vie d'un jeune Camerounais pour un Paul Biya qui célèbre ses vingt-cinq années de pouvoir dans le faste et l'arrogance ?
Buéa, Abong-Mbang, Kumba et ailleurs, le sang de jeunes Camerounais, jeunes Africains a coulé et coule encore dans la rue. On se croirait dans les rues de l’Afrique du Sud en période d’apartheid ou tout simplement dans ce roman de Sipho Sepamla « A ride in the Whirlwind » publié sous le titre de « Retour à Soweto » dans sa version française.
Ce sang de ces jeunes Noirs, jeunes Africains, jeunes Camerounais qui coule dans l’indifférence générale tant au Cameroun, qu’en Afrique ou dans le monde inquiète !
Pourtant nous sommes bien dans un gouvernement dit démocratique dont le chef de l’État revient d’un séjour de plus d’une semaine dans une grande capitale d’un monde occidental qui lui a ouvert grand les portes de son palais sans aucuns problèmes ; de cette grande instance internationale où il a pris sans aucunes huées ou cris la parole devant un parterre de représentants du monde entier et a essayé sans grande conviction de se faire « l’ambassadeur des pauvres ». Et toujours à cette instance, il a été écouté sans jamais être sommé de rendre des comptes au sujet des afflictions causées aux jeunes Camerounais soucieux de s’instruire, d’avoir accès à l’instruction, à l’éducation et soucieux d’être utiles pour leurs familles, leurs pays et leur cher continent.
Depuis les années 90, les jeunes Africains et Camerounais vivent de nombreux massacres de Soweto sans que cela semble réellement choquer personne.
Le Cameroun et l’Afrique s’endormiront encore cette nuit pour parler avec Sipho Sepamla, ignorant tout du cauchemar auquel la nuit avait donné naissance. Un cauchemar qui allait hanter bien des nuits à venir !
Oui quel avenir pour cette jeunesse jetée aux orties, aux affres les plus monstrueuses d’un pouvoir cette fois noir, mais tout aussi sanguinaire, sauvage, cruel, féroce et impitoyable.
Des flics. Encore des flics ! « Les flics ! Ils massacraient des enfants innocents en pleine rue. Car les représentants du système avaient la réputation d’être intraitables et cruels. Certains disaient : barbares. ». Nos dirigeants à la peau noire ne diffèrent presque en rien de cette réalité décrite quelques années plutôt dans les rues de Soweto.
Nous ne sommes pas le 16 juin mais un jour nous serons tous forcés de « découvri[r] soudain le rôle » de ces enfants de Kumba, de Buéa et d’ailleurs. De Ngome Nkwelle Herbert, Tchambanu Derrick, Ufeanei Ivo, Mouma Benet…, ces jeunes Camerounais et Africains tombés sous les balles des forces de l’ordre et avec la complicité du gouvernement camerounais.
Nous attendions encore les réactions de notre cher gouvernement et de son chef en la personne même du Prince depuis les dernières exactions de Buéa, d’Abong-Mbang et autres sans aucun résultat, sans aucun procès, sans aucun changement. Et nous sommes forcés de constater encore aujourd’hui et définitivement que le Cameroun sans aucune gêne vient d’entrer dans une ère de répressions tous azimuts envers des jeunes Camerounais.
Et quels jeunes Camerounais ? Ceux qui osent se lever tous les matins pour essayer de gagner leurs vies rendues chaque jour difficiles par un gouvernement grand détourneur de fonds publics, ces fonds mêmes qui auraient dû être destinés à l’éducation, à la santé et au bien-être de ces jeunes, grandes victimes de leur gouvernement policier et répressif. Ces jeunes qui osent s’inquiéter et se plaindre des conditions pénibles et difficiles dans lesquelles ce gouvernement les laisse essayer de s’en sortir : coupures intempestives d’électricité, manque de structures éducatives adéquates, conditions de travail dans les laboratoires et autres structures éducatives les plus appauvries et les plus dépourvues au monde, aucune prise en charge financière, frais de scolarité qui chaque jour augmentent sans jamais que le gouvernement paraisse s’en offusquer. Je pourrais continuer la pitoyable liste de tous ces maux et souffrances que vivent les jeunes Camerounais, mais à quoi bon ?
Ces mêmes jeunes Camerounais sont ceux qui sont poussés chaque jour par leurs gouvernements vers les filières clandestines de l’immigration et autres tourments. Cherchant ainsi à fuir à jamais ce terrible enfer où le malheur de leur naissance les aura plongé sans jamais susciter la pitié ni de leurs propres « pères et mères » chefs et responsables du pouvoir et du système dans leurs pays depuis les lendemains des semblants ou véritables indépendances.
Ce gouvernement et tous ses complices devront un jour répondre de ces exactions et abus perpétrés à l’endroit de cette jeunesse combative, qui se refuse de désespérer et qui appelle chaque jour leur gouvernement à rendre compte de leur gestion inefficace du pays.
Un jour et ce jour est certain, ces jeunes dégonfleront le mythe de l’invincibilité de ces pouvoirs opprimants et complices de ce sang jeune, vigoureux, bouillant, fertilisant, vivace, énergique versé chaque jour dans les rues du Cameroun et d’Afrique.
Un jour, soyez en certains, ces jeunes, pour reprendre Frantz Fanon, réussiront à « creuser la tombe où s’enliser[ont] définitivement » ces pouvoirs dictatoriaux et sanguinaires qui tirent à balles réelles sur de pauvres jeunes qui ont osé se plaindre des coupures d’électricité dans leurs structures éducatives, des conditions d’accès à leur lieu de formation, de la cherté de la vie, qui les empêche ainsi qu’à leur famille d’assurer leur éducation et leur formation, etc.
Ne pouvant fortifier leurs gouvernements ripoux et escrocs, ces gouvernements n’ont d’autres moyens que d’essayer de justifier leur gestion caractérisée par la gabegie et l’inefficacité par une utilisation de la force et toutes sortes de violence envers la jeunesse.
Combien de ces jeunes doivent encore chaque jour être sacrifiés pour permettre à nos dirigeants de se maintenir et piller notre cher pays ?
Combien de ces jeunes doivent encore tomber sous les balles des hommes en tenue pour qu’un jour nouveau puisse se lever dans ce cher berceau de nos ancêtres, pris en otage par des hommes et des femmes beaucoup plus fiers de leurs pactoles injustement amassés que de ces grands et nobles héros qui pendant longtemps se sont battus pour donner une dignité à cette terre et patrie chérie que nous avons tous reçue en héritage ?
Combien de ces jeunes « doivent encore mourir, combien d’enfants sans mère doivent pleurer, combien de temps notre peuple devra-t-il continuer à peiner pour que quelques-uns seulement puissent avoir un compte de mille dollars à la banque de ce dieu-monstre qui, pendant quatre siècles, a dépouillé un continent ».
Je reste convaincue qu’un jour viendra certainement où nous pourrions comme le rêvait le Rebelle dans la poésie de Césaire « ouvrir sur un autre soleil les yeux de nos filles et fils » et sur cette terre que nous ont légué nos chers ancêtres.
Et ce jour là, nous chanterons tous un véritable hymne en l’honneur de ces véritables fers de lance de la nation.
Nous célébrerons comme l’ont longtemps rêvé les enfants de Soweto et d’ailleurs « l’avènement du grand jour au rythme des tambours, battre des mains et frapper le sol du pied ».
Mais en attendant ce jour-là, nous devons encore souffrir de voir ces gouvernements ripoux célébrer sur le sang versé des jeunes, sur les tombes des jeunes sacrifiés, sur les jeunes poussés sur le chemin de l’exil, de la soif, de la solitude et du désespoir … leurs longues années à la tête des États africains.
Un jour, chers jeunes, jeunes morts au combat, nous exigerons une reddition de comptes, forts de ces sacrifices ultimes que vous avez offerts pour nous tous.
Un jour, nous établirons un autel pour célébrer votre bravoure et votre courage et vous présenter en héros devant, nous l’espérons, un peuple nouveau et soucieux du bien-être de ses jeunes.
Ce jour, nous pensons qu’il se lèvera car dans nos cœurs et pour reprendre Sipho Sepamla, l’espérance est profondément gravée.
En attendant, nos larmes comme de longs fleuves intarissables coulent pour pleurer nos jeunes frères et enfants.
Véronique Michèle METANGMO