APE : traîtresse, la Côte d'Ivoire ? (2)
Faut-il brûler la Côte d'Ivoire pour avoir été le premier pays africain à signer un accord intérimaire avec l'Union européenne alors que la consigne générale visait à dire un grand "non" et à reporter toute négociation dans le cadre des Accords de partenariat économique (APE), qui doivent mettre un terme au régime préférentiel permettant aux pays ACP d'exporter dans l'UE avec des tarifs avantageux sans que la réciproque soit exigée ?
Pour répondre à cette question, il faut d'abord s'en poser une autre : pourquoi Abidjan a signé là où des pays comme le Sénégal ou le Nigeria ferraillaient pour maintenir le statu quo ante ? Première hypothèse : la Côte d'Ivoire a été menacée. On peut le croire en effet quand on lit les propos tenus jeudi dernier par le Commissaire européen au Développement Louis Michel, lors d'une conférence de presse à Bruxelles. "La Côte d'Ivoire a intérêt à signer les accords commerciaux intérimaires proposés par l'Union européenne, en attendant la conclusion des APE, car, à défaut, à partir du 1er janvier, les bateaux européens ne pourront plus transporter les produits de base ivoiriens, comme la banane et le cacao", a déclaré M. Michel.
Cette hypothèse n’est toutefois pas suffisante : la Côte d’Ivoire a pris sa décision bien avant les propos musclés – et franchement inconvenants – de Louis Michel. Le jour où l’ancien chef de la diplomatie belge parlait à Bruxelles, Paul-Antoine Bohoun Bouabré, ministre d’Etat, ministre du Plan et du Développement de Côte d’Ivoire, prenait la parole lors d’une cérémonie à Abidjan. Il expliquait en substance :
que la Côte d’Ivoire avait longtemps tendu la main aux autres pays de la CEDEAO pour solliciter des concertations en vue d’une position commune et surtout de propositions communes aux Européens ;
que les querelles de compétences entre la CEDEAO et l’UEMOA avaient perdu du temps à la sous-région ;
que le Nigeria se contentait d’une position de principe bravache parce que juché sur ses barils de pétrole, ce que le Ghana aurait compris en endossant les résultats d’une étude d’impact ivoirienne menée avec sérieux ;
qu’il ne faut pas exagérer, et que tout le monde savait bien que le régime de préférences unilatérales prendrait fin le 31 décembre 2007 et qu’il n’est pas question de jouer les irresponsables… comme d’habitude.
Bref, la Côte d’Ivoire aurait fait cavalier seul en raison du manque de sérieux des pays ouest-africains côtiers et pourvus de secteurs agricole et/ou industriel significatif, ayant une activité import-export d’un certain niveau.
Il n’est pour autant pas interdit de se demander si Abidjan, qui compte sur Bruxelles pour le financement de son programme de sortie de crise, pouvait se permettre de jouer les rebelles et les « altermondialistes ». En tout cas, une fois de plus, les faiblesses structurelles d’organisations communautaires africaines plus folkloriques qu’institutionnellement assises sautent aux yeux. Comment arriver à tirer profit de la mondialisation si l’Afrique refuse de s’asseoir et de fabriquer patiemment et sur la base des intérêts communs, intra muros, les consensus minimaux permettant d’être des interlocuteurs dignes de respect face aux Européens, aux Américains et aux Asiatiques ? Dur, dur !