L'arrogance européenne (1)
Beaucoup de choses ont été écrites sur le dernier sommet Europe-Afrique de Lisbonne. Il me semble pour ma part que s'il y a une leçon à retenir de ce grand raout, c'est que l'arrogance européenne se porte toujours aussi bien, et qu'elle est souvent accompagnée d'une sorte de schizophrénie qui, à certains égards, est fascinante.
Ainsi de Nicolas Sarkozy. Même si on le sent pressé de renouer avec la Côte d'Ivoire de Laurent Gbagbo pour y défendre les intérêts de ses amis du CAC 40, il ne peut se départir d'une suffisance bien déplacée dans le contexte. La rencontre entre les présidents français et ivoirien est "un pas vers une certaine forme de normalisation, laquelle normalisation n'aura lieu définitivement qu'après des élections transparentes". Vertueuse posture, mais qui est franchement risible : tous les observateurs avisés savaient bien qu'après Lisbonne, Nicolas Sarkozy accueillerait en grande pompe à Paris, et pendant cinq jours, un Mouammar Kadhafi qui ne manque pas une occasion de brocarder le fait électoral et la démocratie à l'occidentale. Pourquoi Sarkozy n'attendrait pas une mise à niveau démocratique de la Libye comme il dit vouloir le faire pour la Côte d'Ivoire ? Il suffit de regarder en direction d'Anne Lauvergeon, patronne d'Areva (multinationale française spécialisée dans l'énergie nucléaire). A partir d'un certain nombre de milliards, les Européens remisent leur plaidoirie pour les droits de l'homme. La France n'a-t-elle "mangé" à la table de Saddam Hussein malgré tous les cadavres qu'il avait dans le placard ? Qu'est-ce que la jolie Rama Yade (secrétaire d'Etat aux Droits de l'Homme qui critique ouvertement les choix présidentiels) ne comprend-elle pas là ? Au demeurant, l'Europe peut-elle se permettre, dans le climat de concurrence rude qui caractérise la mondialisation, de ne faire du commerce qu'avec les pays respectant les principes de la démocratie libérale ?
Le même Nicolas Sarkozy s'est réjoui, selon Frat-Mat, de ce que Laurent Gbagbo n'était pas le concepteur de l'ivoirité. Il reste que Gbagbo aurait pu lui répondre qu'entre les tests ADN, le resserrement du régime du regroupement familial et les reconduites à la frontière de plus en plus nombreuses, c'est plutôt à l'Afrique de disserter sur la xénophobie européenne. Scandaleuse hypothèse ? Oui, si l'on n'a pas "écrasé" dans son disque dur le logiciel de l'arrogance européenne.