Sarkozy, Yayi, ATT et les autres…
La messe est dite. Nicolas Sarkozy, numéro un de l’UMP, parti créé par Jacques Chirac, est le nouveau président de la République française. Il a battu sa rivale socialiste avec près de 53% des suffrages exprimés au second tour. L’héritier du gaullisme françafricain, le «fils maudit» de Jacques Chirac est à l’Elysée. Durant la campagne électorale, il s’est appliqué à mobiliser la France qui a peur autour des thèmes qui l’inquiètent : l’insécurité, l’immigration, l’identité nationale. Par ailleurs, il a développé un discours de rupture pour le moins ambigu sur la relation entre son pays et ses anciennes colonies ; stigmatisant les «réseaux» chiraquiens tout en les récupérant ; condamnant les turpitudes du passé et les minimisant en clamant à tue-tête que la France refuserait désormais la mode de la «repentance».
Hier, lors de son premier discours de président élu, Nicolas Sarkozy s’est donné une posture missionnaire, en évoquant l’Afrique. «Nous voulons dire à l’Afrique que nous allons l’aider à vaincre la maladie, à vaincre la famine, à vaincre la pauvreté, à vivre en paix. Je veux leur dire que nous allons décider ensemble d’une politique d’immigration maîtrisée et d’une politique de développement ambitieuse», a-t-il proclamé. On aurait envie de lui demander de mettre d’abord un terme aux nuisances avant d’apporter une aide que les populations africaines ne lui ont pas encore demandé. Cesser de nuire, c’est mettre un terme à un interventionnisme militaire à la tête du client, visant à protéger les dictatures amies et à déstabiliser les régimes honnis. Cesser de nuire, c’est cesser d’exercer des pressions sur les gouvernements africains pour le compte de multinationales hexagonales pas toujours respectueuses du «juste prix» des différents services qu’elles offrent souvent dans une situation de monopole. Cesser de nuire, c’est arrêter de «secourir» les Africains contre leur gré, et sans même les avoir écoutés.
Bien entendu, dans les prochaines semaines, nous interrogerons les discours et actes de Nicolas Sarkozy, dans un essentiel réflexe de vigilance citoyenne, et traquerons les éventuelles premières dérives françafricaines. Mais nous aurions tant aimé ne plus avoir à parler de cette pieuvre aux mille tentacules. Nous aurions aimé commenter les élections françaises dans un journal ivoirien avec le même détachement que si nous évoquions les scrutins allemand ou japonais. Ce n’est pas encore possible parce que dans nos pays, la France officielle reste encore un acteur de la politique intérieure…
Sarkozy est président. Il représente, comme Ségolène Royal, une nouvelle génération qui marque, du point de vue de la politique intérieure, une certaine rupture. Les Français ne l’ont pas élu pour émanciper les Africains, et ne lui tiendront pas rigueur de chausser les bottes de colon de Jacques Chirac, si c’est pour la grandeur de leur pays.
En Afrique, la génération des «pères de la nation» s’en va, ou s’en est allée. Une nouvelle génération est au pouvoir, ou arrive au pouvoir. Sa mission historique est de parachever la décolonisation, de faire advenir une certaine indépendance économique, d’accoucher d’une ère où les décideurs du continent ne fonderont pas leurs analyses et décisions sur les caprices et vues de l’ancienne métropole. Comme Nicolas Sarkozy dit vouloir s’attaquer à la dette et aux rigidités qui sont à l’origine du déclin français, les nouvelles élites africaines doivent briser les carcans qui entravent l’évolution de leur relation avec l’ancien dominateur. Le président élu par les Français dit avoir pour amis les présidents malien Amadou Toumani Touré et béninois Yayi Boni. Vont-ils se précipiter, dès son investiture, à la cellule africaine de l’Elysée pour «cafter» contre leurs homologues mal aimés à Paris, en espérant avoir quelques «bonbons» ou vont-ils, en harmonie avec les autres chefs d’Etat africains, et au nom des intérêts bien compris du continent, bâtir une relation égalitaire entre Etats malgré l’existence d’affinités particulières ? Dans des confidences à Jeune Afrique, le très réactionnaire chef de la cellule africaine de l’Elysée sous Jacques Chirac, Michel de Bonnecorse, remarquait avec joie que «les jeunes démocratiquement élus ne sont pas les moins assidus» dans le bureau des pleurs et des complots du Palais présidentiel français. Nouvelle génération pour nouvelle génération, que les dirigeants africains soient au moins aussi patriotes que les dirigeants français. Qu’ils n’imitent pas un Houphouët-Boigny ou un Omar Bongo, qui ont vu plusieurs de leurs «amis» français se plier de bonne grâce au jeu démocratique et quitter le pouvoir avant de mourir, mais qui ont catégoriquement refusé de s’en inspirer, pour le plus grand malheur de leurs peuples.
Pour le reste, vogue la galère !