Guillaume Soro et «son» attentat
Souvenons-nous. C’était en janvier 2003, dans la foulée de la signature des accords de Linas-Marcoussis. Guillaume Soro triomphait dans le rôle de l’appendice «jeune et joli» de la Françafrique la plus tordue ; Dominique de Villepin et Pierre Mazeaud lui prophétisaient un avenir d’homme d’Etat assuré, alors qu’ils prédisaient au président ivoirien Laurent Gbagbo une retraite anticipée. Depuis cette époque, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Le président ivoirien n’a pas été déboulonné malgré tout l’édifice militaro-diplomatique qui était censé l’encercler. De guerre lasse, une partie de la nébuleuse internationale qui avait décidé de renverser Laurent Gbagbo a accepté de travailler avec lui sur l’hypothèse d’une paix sans putsch. Les Accords de Ouagadougou sont nés. Guillaume Soro, «l’instrument» dressé contre «l’adversaire» a été nommé Premier ministre par celui qu’il devait renverser, au grand dam de ses anciens amis du G7 et de certains de leurs alliés internationaux. Il est désormais dépeint en «traître». Une chose est sûre : la guerre de 2002 et la paix de 2007 ont bénéficié, l’une comme l’autre, à l’ancien secrétaire général de la FESCI, et lui ont permis d’accélérer de manière radicale son destin politique. Il n’y a qu’à voir où en sont les Martial Ahipeaud, Eugène Djué et même Charles Blé Goudé pour se rendre compte que l’enfant de Ferkéssédougou est, de tous les produits de cette génération qui veut le pouvoir, celui a qui a, de la manière la plus spectaculaire, brûlé les étapes. L’attentat perpétré contre l’avion qui le menait d’Abidjan à Bouaké le vendredi 29 juin 2007 a permis aux observateurs de se rendre compte de la place centrale que l’ex «petit gros» de la rébellion a pris en Côte d’Ivoire. Les uns après les autres, tout ce que la Côte d’Ivoire compte de figures politiques va, avec empressement et dévotion, dire son «yako» à Soro. Bien entendu, chacun y va avec son agenda et ses préoccupations. Ainsi, le camp présidentiel veut manifester sa solidarité dans l’épreuve pour mieux consolider une alliance encore fragile. Certains membres de l’opposition se disent que s’ils ménagent leur compassion, Soro passera, entièrement et avec armes et bagages, à l’ennemi. D’autres, comme Alassane Ouattara et les dignitaires du RDR se disent que, s’ils ne font pas assaut d’amabilités, on les accusera d’être à l’origine de l’attentat – étant donné que tout le monde sait qu’ils ont parrainé une rébellion qui les a finalement laissés tomber en chemin. Une chose est sûre : aujourd’hui en Côte d’Ivoire, Guillaume Soro est le seul acteur politique que personne ne veut assumer comme ennemi. Il a acquis une indéniable centralité. De Villepin et Mazeaud ont-ils fait, il y a plus de quatre ans, œuvre de divination ? Sans doute l’actuel Premier ministre de Côte d’Ivoire veut-il y croire et se considérer comme une sorte de «prédestiné» qui a la «baraka» (selon l’expression de Jeune Afrique, la semaine dernière). Deux destins possibles s’ouvrent à Soro en tout cas : il peut tout aussi bien s’intégrer durablement dans le paysage politique africain ou s’assécher rapidement, essoré par des aventures politiques trop précoces et trop immorales. Après ce qu’il nous somme de considérer comme «son» attentat, Guillaume Soro a montré les qualités qui l’ont souvent aidé et les défauts qui risquent de le «tuer». En choisissant de rester à Bouaké après l’attentat, au lieu de s’enfuir «par sept chemins», le Premier ministre a montré une fois de plus son courage physique et son flair politique. L’opinion populaire aime les «woody» courageux ; les éventuels contradicteurs à Bouaké auraient vite fait de crier à la victoire psychologique si Soro s’était précipité à Abidjan après leur assaut ; les chefs de guerre qui se complaisent pour l’instant dans le double jeu auraient peut-être définitivement basculé. Tout cela, Soro l’a compris. Ceci dit, dans la gestion de l’après-attentat, Soro a étalé son insondable arrogance et son caractère manipulateur devant des interlocuteurs irrités malgré leur masque de sympathie. Tour à tour, ses proches et lui ont accusé l’ONUCI, la Licorne, le camp présidentiel. Soro a demandé à tous ceux qui spéculaient de laisser les experts travailler pour finir par affirmer «je sais qui a fait le coup». Par la suite, profitant de l’aubaine que lui donnait la RTI (des sortes d’éditions spéciales couvrant de long en large la succession des «yako»), il s’est assumé à imiter le président Gbagbo jusqu’à la caricature, dans ses trucs et astuces, dans ses tics, dans sa posture. Recourant de manière exagérée au «je» de majesté, traitant ses interlocuteurs comme s’ils venaient effectivement se mettre à son service au-delà du folklore, il a raté de nombreuses occasions de montrer quelques signes d’humilité. Et pourtant… Même s’il jouit aujourd’hui d’une gloire circonstancielle, Soro a plusieurs cadavres dans les placards. La France, qui sait tout des crimes et des pillages des siens, le tient : c’est sans doute pour cette raison qu’il a enjoint ses proches de mettre un terme à leurs accusations contre Licorne et l’ONUCI. Soro ne doit pas commettre l’erreur de regarder sa nomination à la Primature comme une absolution, une «nouvelle naissance» qui aurait effacé par miracle ses agissements du passé. Or, quand il dramatise à l’excès ce qui lui est arrivé, de nombreuses personnes se souviennent que des actes terroristes d’une ampleur bien plus grande que ceux du 29 juin 2007 ont eu lieu le 19 septembre 2002 – lui-même dit avoir été à la tête des opérations qui ont notamment coûté la vie à un ministre d’Etat, Emile Boga Doudou. Quand il dit qu’il sait comment ses hommes agissent – pour les blanchir de «son» attentat –, on se souvient qu’ils ont fait à d’autres (de manière peut-être moins spectaculaire mais tout aussi meurtrière) ce que quelqu’un a tenté de faire à leur chef. Lorsqu’il écarte toute piste interne, niant des frustrations pourtant réelles au sein de ses troupes, il accroît le malaise entre une base clochardisée et une minorité de chefs rebelles à la richesse ostentatoire. Trop parler peut tuer. Guillaume Soro, s’il ne veut pas connaître le même sort que ceux qui l’ont précédé, doit se souvenir qu’il est après tout celui par qui le scandale est arrivé, mettre un bémol à sa propre euphorie et à celle de ses proches, travailler dans la discrétion et la courtoisie… en sachant qu’il a beaucoup de choses à se faire pardonner.